Protection de la biodiversité ou déstructuration sociale de minorités indigènes ?

 “Cuando se habla de territorio, no se trata solo de una extensión de terreno con recursos para planificar, sino de la tierra y de quienes con sus necesidades sus miedos y sus sueños, la habitan.”

“Quand on parle de territoire, il ne s’agit pas seulement d’une extension de terrains avec des ressources à gérer, mais plutôt d’une terre et de ceux qui l’habitent, avec leurs nécessités, leurs peurs et leurs rêves.”

(Gabriella F. S.)

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Pour cet article, nous avons souhaité sortir des sentiers battus agroécologiques pour vous raconter l’histoire mouvementée d’une communauté « relocalisée » à plusieurs reprises par le gouvernement mexicain. Le prétexte : il fallait protéger la biodiversité dans des régions déclarées « réserve nationale » ou « réserve de la Biosphère »…

Situé au sud-est de la République du Mexique, l’Etat de Campeche abrite la Réserve de biosphère de Calakmul (où se trouve une très ancienne cité Maya perdue au milieu de la jungle mexicaine). A la périphérie de cette réserve naturelle, nous sommes allées à la rencontre de « Union 20 de junio », communauté également appelée « la Mancolana ». Parmi ses habitants, Don Juan, un maya Tzeltal originaire du Chiapas, nous a raconté son histoire…

Don Juan : sa vie, sa famille, sa communauté

Le père de Don Juan était ouvrier agricole dans une grande hacienda ou « rancho » au sud du Chiapas. A ce titre, il ne possédait pas de terre sinon un lopin contigu à sa maison («généreusement» mis à disposition par son propriétaire) qui ne lui permettait pas d’assurer la subsistance alimentaire de sa famille (voir article à venir sur l’histoire agraire du Mexique). A la mort du patriarche, le tout jeune Don Juan quittât l’hacienda en compagnie de sa mère et de ses frères en quête de nouvelles terres. Ils trouvèrent refuge dans la ferme de son oncle, alors nouveau ejidatario[1] au sein de la Selva Lacandona (toujours dans la Chiapas).

Devenus jeunes hommes, Don Juan et ses frères durent se mettre à la recherche de terres à cultiver, l’oncle ne pouvant ou ne voulant pas leur léguer une partie de ses terres. Entretemps, le gouvernement fédéral déclara en 1972 la région de Lacandona comme « zone prioritaire de conservation » de la biodiversité. L’objectif affiché alors était de protéger les immenses ressources naturelles tout en limitant l’établissement et l’expansion de communautés humaines dans la selva. C’est-à-dire que non seulement le gouvernement ne distribuait plus de terres aux bénéficiaires de la réforme agraire (voir article à venir sur l’histoire agraire du Mexique), mais une grande partie des ejidos déjà formés (notamment ceux des groupes ethniques arrivés plus tard comme les Tzeltals et les Tzols) devaient quitter la réserve pour aller s’installer ailleurs. Forts des promesses gouvernementales facilitant l’implantation de nouveaux centres urbains ejidales, certains sont alors partis. D’après Don Juan, d’autres ont voulu rester : « donde nacimos, moriremos », mais ils virent leurs maisons brûler et furent finalement obligés de partir. Et cela dans des circonstances assez floues : l’Etat tentait, dans cette région agitée politiquement et socialement, de monter les communautés les unes contre les autres, selon le concept sarkozien du « diviser pour mieux régner ».

En 1982, Don Juan et son frère Miguel décidèrent de s’exiler vers l’Etat de Campeche, où le gouvernement donnait encore des terres. Accompagnés de 34 autres familles et animés par la recherche de conditions de vie meilleures, ils migrèrent vers la municipalité de Calakmul. Le gouvernement fédéral leur accorda un ejido de 6000 ha de terres, où ils formèrent la communauté «Union 20 de Junio» (date à laquelle ils s’installèrent). Les membres d’origines diverses de cette toute nouvelle communauté durent s’adapter à leur nouvel environnement et apprendre à vivre ensemble.  L’Etat, de son côté, ne tint pas vraiment ses promesses quant aux services de bases : l’ « union 20 de junio » s’est retrouvé très enclavée, faute de routes, de services de santé et d’éducation décents… Mais d’après Don Juan, cet isolement n’était pas un problème en soi, puisque tous les membres de la communauté disposaient de terres fertiles permettant leur subsistance.

Sept ans après leur installation, le 23 mai 1989, la « Réserve de Biosphère de Calakmul » fût créée à travers un décret présidentiel, sans consultation aucune des populations vivant dans cette nouvelle zone prioritaire de conservation ! Sa création eût d’énormes impacts non seulement sur les dynamiques agraires, mais aussi sur les populations qui ont dû se déplacer de la zone « cœur » de la réserve vers les zones « tampons » (en périphérie). Une fois encore, Don Juan et la communauté « Union 20 de Junio » se sont vu obligés de quitter leur ejido. Une fois encore, le gouvernement fédéral leur promet mille et une choses pour motiver leur départ.

En 1993, la communauté se mit donc à la recherche d’une terre où s’implanter, et trouvèrent finalement leur « bonheur » à 120 km de là, au Nord de Xpujil, où nous les avons rencontrés. Ils ne purent malheureusement pas fonder un nouvel ejido. En effet, la « réforme de la réforme agraire » de 1992 a changé la situation foncière : à leur installation, ils sont devenus pequeños proprietarios (petits propriétaires) et non pas ejidatarios, individualisant donc la production agricole et leur autorisant les transactions marchandes des biens fonciers. Au début, l’idée de cette nouvelle forme de propriété individualisée ne leur semblait pas adaptée à leur organisation : ils risquaient de perdre leur identité et le ciment de leur communauté. Mais n’ayant pas vraiment le choix, les membres de la communauté devinrent ainsi des petits propriétaires, chaque adulte possédant 50 ha de terrain. Ils furent rejoints par d’autres familles, dont quelques unes qui fuirent les répressions du Chiapas en 1994.

Aujourd’hui la communauté se compose de 88 familles (issues de 3 ejidos différents), qui ont su s’adapter au statut de petits propriétaires en conservant une assemblée mensuelle permettant de prendre les décisions concernant la communauté. Mais avec cette dernière « relocalisation », de nombreux problèmes sont apparus :

  • Certains membres de la communauté n’ont pas accès à la terre (ce sont les plus jeunes ou les derniers arrivés : ils ne sont alors que des pobladores, qui doivent louer la terre qu’ils travaillent).
  • L’absence d’eau constitue un des problèmes majeurs pour la communauté (absence de cours d’eau, de nappe phréatique accessible et potable et sécheresses récurrentes). L’Etat n’a jamais tenu ses promesses quant à l’accès à l’eau : les villageois ont du hausser le ton pour obtenir des tanks à eau et attendent toujours la construction d’un aqueduc… Les paysans ne peuvent donc pas développer des activités d’élevage ou de culture gourmandes en eau (café, bananier…), leur empêchant ainsi de reproduire les systèmes de cultures traditionnels qu’ils ont appris dans leur jeunesse au Chiapas.
  • La plupart de nos interlocuteurs nous ont assuré que ces nouvelles terres sont beaucoup moins fertiles que dans leur ancien ejido…. Les rendant encore plus vulnérables que précédemment et les obligeant à trouver d’autres moyens de subsistance (ils se dirigent notamment vers les cultures de rente, l’apiculture….)

Ces relocalisations ont largement changé les formes d’organisation de la vie collective et la relation communauté-territoire. Pour faciliter l’appropriation de ce nouveau terrain par la communauté, d’innombrables projets ont vu le jour, impulsés par l’Etat ou par des organisations de la société civile. Cependant, la multiplication des projets a porté préjudice à l’intégrité de la communauté : ces derniers n’ont pas forcément atteints leurs objectifs par manque de cohérence et de volonté de pérennisation.

Mais l’union faisant la force, quelques projet sont devenus des activités économiques très rentables pour les habitants, comme : l’apiculture, la production de jeunes plants pour le reboisement de la zone, la culture du poivre de la Jamaïque – Pimenta dioica (Myrtaceae)- et la construction d’un centre écotouristique. Grâce à ces quelques succès, ils ont réussi  à maintenir la culture traditionnelle de la milpa (association de maïs, haricots et courges ; voir article à venir sur la milpa), qui fait partie de leur identité en tant que Mayas Tzeltals.

 « Union 20 de Junio », un cas isolé ?

Ce récit n’est pas un cas isolé au Mexique, loin s’en faut.

Comment en est-on arrivé là ? Tout commence avec les fronts pionniers agricoles qui se sont intensifiés dans les années 60-70. Ces derniers visaient à coloniser des forêts alors considérées comme « soupape » pour soulager la pression démographique des paysans sans terre du pays.  Les forêts tropicales du sud mexicains se sont alors peuplées avec l’aval gouvernemental. Mais dans les années 1970, la mode internationale du « préservationnisme » à tous prix fait son apparition au Mexique. La protection des zones soudain parées d’une grande valeur écologique devient une urgence impérieuse. Dans la plupart des cas mexicains (notamment pour la Selva Lacandona et plus tard pour la région de Calakmul), il s’agissait d’imposer un modèle importé et plaqué de façon verticale, sans consultation aucune des habitants. Les impératifs environnementaux obligèrent purement et simplement certaines populations, considérées comme « envahisseurs », à se déplacer. De toute façon, les nouvelles règles imputées aux communautés des zones protégées ne leur permettaient pas de vivre de leurs productions (puisque celles-ci même étaient limitées, en partie à cause de l’interdiction des pratiques traditionnelles telle que l’abattît-brûlis…).

D’après les auteurs de la revue zapatiste « Rebeldía », ces politiques environnementales et conversationnistes (accompagnées de subventions souvent contradictoires avec le but même de protection de l’environnement : comme l’offre de paquets technologiques – et chimiques !- abondante en période électorale) ont largement contribué à transformer l’agriculture paysanne mexicaine en la mettant « sous-perfusion ». Ils sont notamment très critiques face aux « Paiements pour Services Environnementaux » (PSE), qui incitent les paysans à ne pas toucher au territoire : « si tu ne brûles pas la forêt, je te paye », « si vous reboisez avec une monoculture productive des terres où vous produisez normalement le maïs, je vous paye aussi ». Pour eux, il s’agit de tactiques visant à rendre dépendants les paysans aux subventions : il s’agit là de rompre avec une culture ancestrale d’autosuffisance en échange d’argent comptant…. La reproduction sociale et naturelle des communautés vivants dans et en périphérie de ces zones protégées est donc menacée, ce qui est en contradiction profonde avec l’objectif de durabilité prôné par ces mêmes politiques environnementales !!!

Aujourd’hui encore, des communautés vivent de manière « illégale » dans ces réserves naturelles et risquent l’expulsion. C’est notamment le cas dans la Selva Lacandona (Réserve Montes Azules) et la Réserve de la Biosphère Calakmul,  où « éloigner les populations de ces territoires ne peut en aucun cas être une tâche permanente, alors que travailler avec elles peut l’être ! » (Gabriella F. S.).

 


[1] On
 appelle
 ejido
 une
 collectivité
 nouvelle
 à
 laquelle
 on
 donne
 la 
personnalité
 juridique
 et
 un
 patrimoine
 foncier.
 Les
 bénéficiaires
 (ejidatarios) 
constituent
 un
 noyau
 de
 peuplement,
 ou
 noyau
 agraire
 soit 
dans 
un 
village 
existant,
soit
 dans 
une 
fondation. 
Le
noyau
 de 
peuplement 
ne
 se
 confond
 donc 
pas 
obligatoirement 
avec 
le
 village.
 Les
 ejidatarios 
tiennent 
la 
terre 
selon
 des 
formes 
variées
 d’usufruit, 
soit 
individuel, 
soit
collectif. 
Si, 
dans 
certains 
ejidos, 
l’exploitation 
peut
 être
 complètement 
collective,
dans 
la plupart, 
les 
bénéficiaires 
exploitent
 individuellement 
la
 parcelle 
qui 
leur 
a 
été 
attribuée. Tout 
le
 système
 de 
l’ejido
 est
 régulé
 par
 les 
instances 
dirigeantes 
du
 groupement
 et 
la
disposition 
clé
 est 
l’interdiction 
de
 vendre 
la
 parcelle :
 la
 dotation 
foncière 
de 
l’ejido, 
qui
appartient 
en 
propre 
à 
l’institution,
 est 
inaliénable
 et 
imprescriptible.

Références

Gabriela Mariana Fenner Sanchez. 2011. La reubicación de poblaciones como estrategia de ordenamiento territorial.  Revista Geográfica de América Central, número especial EGAL, Costa Rica. pp 1-18. Disponible sur internet : http://www.revistas.una.ac.cr/index.php/geografica/article/view/2700

Jean Foyer, David Dumoulin. 2008. La durabilité en conflit : réserve naturelle versus foresterie communautaire au Mexique.  Disponible sur internet : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/49/08/98/PDF/7_Dumoulin_Foyer_def.pdf

Lucio Diaz, Eva Serna, Alejandro Valero. 2010. Guerras de conquista… ¿enmascaradas? Las políticas agroalimentarias y ambientales en México. Rebeldia, año 8, número 70. pp 63-73. Disponible sur internet : http://revistarebeldia.org/revistas/numero70/10guerra.pdf

Une réflexion au sujet de « Protection de la biodiversité ou déstructuration sociale de minorités indigènes ? »

  1. Holà les Filles,
    Félicitations pour tout ce travail de recherches, communication avec ceux qui vous accueillent, mise en page: pour notre plus grande joie de partager à distance votre belle aventure. Nous venons de passer 1 mois au Pérou/Bolivie à l’occasion du Festival Kokopelli, de très belles rencontres et de nouveaux projets de regroupement des Gardiens de Semences. Dès que nous aurons un peu plus avancé, je vous tiendrai au courant. Cyprine reprend son tablier demain (traiteur en festival) et fait des économies pour repartir, sans doute en novembre, rejoindre son frère qui est en route pour le Costa Rica, toujours via Kokopelli.
    Si tu / vous souhaitez des contactes Pérou ou autres tu peux joindre Eric Sémillon (Kokopelli Costa Rica et coordinateur tous pays Amérique du Sud), de notre part.
    « Eric Sémeillon » . Il est également sur skype si tu veux lui parler directement…
    Le meilleur vous accompagnent
    Amitiés
    Catherine (Tournier)

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